Chapitre 4. Répercutions sur la bielle et forces de frottement.
Nous avons vu dans les chapitres précédents les forces de pression et d’inertie que subissent nos pistons. On serait tenté d’en conclure que la bielle, qui reprend cet effort, subit les mêmes forces… mais ce n’est pas tout-à-fait exact.
En effet, quand la bielle est alignée avec le piston, la force que subit le piston est transmise à la bielle mais une fois qu’elle tourne, l’effort fournit par la bielle n’est plus aligné et la grandeur de cette force change. Par analogie avec le premier schéma, voilà un schéma reprenant les forces des pistons versus forces des bielles :
La force appliquée sur le piston (Fp) et répercutée sur l’axe qui lie le piston à la bielle et dans l’axe du piston alors que la bielle exerce une force (Fb) dans son propre axe (axe maneton de vilebrequin-piston). Ces deux forces ne sont alignées qu’au PMH et au PMB. Le reste du temps, la force appliquée par la bielle est oblique. La Force inconnue (Fx) qui est le complément pour l’équilibre est en fait fournie par la paroi du cylindre qui appuie sur la jupe du piston.
La jupe du piston doit donc avoir une surface suffisante que pour encaisser cet effort induit par la bielle. Si on se souvient que la force exercée sur le piston est souvent de l’ordre de quelques tonnes et considérant que le dessin est proportionné, on se rend compte que la force exercée sur le cylindre est plus petite mais du même ordre de grandeur et se compte en tonnes (!). C’est pour cette raison que la jupe doit avoir une certaine surface afin de répartir cette force et permettre à de l’huile de lubrifier cette partie. Si la jupe avait une surface insuffisante, la pression serait trop élevée et le film d’huile serait chassé sous la pression… contraignant le piston à frotter sur le métal du cylindre
. Ceci augmenterait fortement le frottement et l’échauffement des surfaces… rendant encore moins possible la présence d’un film d’huile…et conduirait rapidement à un échauffement tel que le piston se dilaterait et se ramollirait pour finir par se souder au cylindre tout en se faisant perforer par la bielle
Vous comprenez mieux pourquoi un piston a une jupe bien longue avec parfois un traitement de surface
.
Ceci nous amène à ce fameux (oui Fred, j’y viens enfin
) frottement piston-cylindre qui est très complexe et qui dépend de pas mal de paramètres qu’on a déjà cité ci-dessus mais on va un peu expliquer ici pourquoi car ce frottement applique une force sur le piston qu’il est bon de calculer avant de voir quelle est la force qui est transmise à la bielle.
Si on synthétise la force visqueuse, on peut l’apparenter à la force visqueuse qui existe entre deux surfaces proches qui glissent l’une sur l’autre avec une faible épaisseur de liquide visqueux. Schématiquement, voilà à quoi cela ressemble :
Les flèches indiquent la vitesse du fluide à cette hauteur. Comme on peut le voir, le fluide qui est le plus proche du piston va à la même vitesse que lui et celui qui est proche du cylindre est presque à l’arrêt et chaque couche de fluide a la même différence de vitesse avec les autres ce qui, à cause de la viscosité, engendre une force de frottement :
- Proportionnelle aux surfaces en contact
- Proportionnelle à la viscosité
- Inversement proportionnelle à l’épaisseur de fluide
Dans le cas de notre frottement piston-cylindre, le cas est plus complexe à cause des débits d’huile, segments racleurs,… mais cela reste une assez bonne approximation. On comprend ici l’influence des paramètres cités dans l’échange entre Fred-Shiftech et moi. Les surfaces en contact varient peu mais les deux autres paramètres sont très variables.
La viscosité variera en fonction de la température qui, elle, est très variable et dépend de sa température dans le passé, de la température du piston (et la répartition de cette température), de la température du cylindre, et de la température de tout le reste qui est en contact avec l’huile car l’huile circule et échange sa chaleur avec tous les autres organes.
L’épaisseur de fluide variera elle aussi en fonction de la température des pistons et cylindre car la dilatation rapprochera ou éloignera ces pièces. La force latérale évoquée ci-dessus engendrera elle aussi une possible variation (dans le temps) de l’écart piston-cylindre.
Nous pouvons constater que le calcul de cette force est extrêmement complexe et que les outils nécessaires sont très lourds et coûteux… c’est pourquoi comme tout bon ingénieur, je tricherai en ne calculant pas de manière directe mais de manière indirecte cette force
Pour calculer cette force de manière indirecte, j’utiliserai l’expérience qui permet de faire une bonne évaluation de l’intensité de cette force de frottement et de voir son influence sur le dimensionnement des pièces.
L’expérience des moteurs nous apprend que sur les 100% d’énergie injectées, une immense partie part en chaleur et seul quelques pourcents sont convertis en énergie mécanique et qu’au mieux, 25% sont convertis en énergie mécanique dans le cas d’un moteur essence et 30% dans le cas d’un moteur diesel. Le reste part par les gaz d’échappement et par les radiateurs. Cette expérience nous apprend que les pertes par frottement s’élèvent à +/-3% de l’énergie injectée. Comparée aux 30% sortis par notre moteur, cela représente une puissance équivalente à 10% de la puissance sortie par notre moteur.
Si on reprend notre cher N47 en version 118d qui, à 2000tr/min (209,4rad/s), délivre 300Nm, cela donne une puissance de 300Nm*209,4rad/s = 62,8kW. Une puissance équivalente approximative de 6,3kW se perd donc en frottement à ce régime. Si on considère qu’une moitié (c’est énorme) se perdrait dans le frottement piston-cylindre, cela voudrait dire que 3,15kW se perdent à ce niveau. Le reste serait perdu par les frottements suivants :
- bielle-vilebrequin
- vilebrequin-bloc moteur
- arbre à came-culasse
- arbre à came-soupape
- soupape-culasse
- …
Ces 3,15kW sont à répartir sur 4 cylindres, soit 790W par cylindre. On peut déjà avoir une idée de l’intensité de cette force par un simple calcul. On sait en effet qu’une puissance de perte par fortement vaut :
Force de frottement x Vitesse de frottement
On sait (via notre tableau de mouvement de piston) que le piston de nos N47 va à une vitesse moyenne de 6m/s lorsque le moteur tourne à 2000tr/min. Si la force était constante, elle serait de 790W/6m/s = 131N, soit un peu plus de 13kg !
En calculant via le tableau utilisé jusqu’ici une force proportionnelle à la vitesse de piston et la puissance de perte que cela représente, on obtient une force de frottement qui a bien sûr la même allure que la vitesse du piston vu qu’elle est proportionnelle :
On constate donc que cette force de frottement connaît des pics jusqu’à une force équivalente à 17kg. Si on calcule la puissance perdue (instantanée), voici le graphique que l’on obtient (valeur négative car puissance perdue):
On voit ici des pics de perte atteignant 1,7kW.
Pour la force totale appliquée sur le piston, il y a donc lieu de tenir compte de cette force de frottement, même si, compte tenu du fait qu’elle ne culmine « qu’à » 17kg, comparé au reste, cela reste très faible et aura surtout un impact indirect. En effet, cette force produit un échauffement qui fragilise le métal et le dilate ce qui fait que la dimension du piston doit être calculée « à chaud » pour ensuite avoir un piston qui, à froid, sera plus petit mais c’est nécessaire si on ne veut pas que le piston « serre » une fois chaud. Il faudra également prévoir un refroidissement du piston afin de limiter sa température.
Concrètement, la force résultante des frottements comparée (et puis additionnée) aux deux autres donnent ceci :
On voit que la force totale appliquée sur le piston n’a pas fondamentalement changé comme on s’y attendait. Elle aurait même tendance à légèrement faciliter le travail de la bielle durant la combustion vu que, le piston descendant, cette force a tendance à ralentir le piston dans cette descente et diminuera donc l’effort repris par la bielle mais cela reste marginal. Bien que notre calcul soit une approximation, on se rend compte que si la force n'a pas exactement cette allure là, elle n'en sera pas fort éloignée et ne pourrait être bien différente. Les forces de frottement apparaissent quand il y a mouvement du piston et même s'ils connaissaient des pics plus importants, ce serait à des moments où le piston ne subit pas ses efforts les plus importants (qui sont localisés aux alentours des PMH et PMB comme déjà vu) sauf pour la fin de la combustion... mais le frottement soulage ici plus qu'autre chose donc...
Comme expliqué ici au-dessus, cette force de frottement a surtout un effet indirect d’échauffement.
Effort transmis à la bielleOn en revient à notre point sur le calcul d’effort repris par la bielle qu’on peut calculer en ayant pris le total des trois forces qui s’appliquent au piston (même si, pour ce calcul, on pourrait presque laisser tomber la force de frottement tant son influence à ce niveau-ci est faible comme on a pu le voir sur le graphique).
Pour calculer l’effort repris par la bielle, il va falloir d’abord trouver l’angle que fait la bielle avec l’axe du piston. Si on reprend le schéma ci-dessus, et qu’on se rappelle un peu de notre trigonométrie, on se souvient que, dans un triangle rectangle, le sinus de l’angle est égal au rapport entre le côté opposé et l’hypoténuse.
Donc le sinus de l’angle de bielle = c/2.sin(A)/Lb. On connait tous les paramètres et on peut donc calculer cet angle en fonction de l'angle de vilebrequin et voilà ce que ça donne :
L’angle de bielle varie donc de +19° à -19°. Ceci va nous permettre en analogie avec ce premier triangle, de traiter le triangle des forces. Dans ce cas-ci, le cosinus de l’angle est égal au côté adjacent (la force du piston) sur l’hypoténuse (la force de la bielle). La force résultante dans le pied de bielle (connexion piston-bielle pour rappel) due au piston est donc celle-ci (comparée à la force subie par le piston) :
Logiquement, la force encaissée par le pied de bielle est supérieure à celle encaissée par le piston comme on a pu le voir sur le premier schéma de ce chapitre. La bielle fournit en effet une force sur le piston pour contrer les pressions/inerties/frottement mais aussi une force latérale. Bien entendu, lorsque la bielle est dans le même axe que le piston, on retrouve les mêmes valeurs et c’est donc lorsque le piston s’éloigne des PMH et PMB que la force fournie est supérieure.
A noter : j’ai bien précisé qu’il s’agit de l’effort en pied de bielle. En effet, l’effort en tête de bielle (connexion bielle-vilebrequin) doit tenir compte de l’inertie de la bielle. Cette inertie est très complexe vu que la bielle, contrairement au piston, ne se contente pas de translater mais tourne également sur elle-même, ce qui engendre des forces parasites qui vont légèrement perturber les forces en jeu. Cette force transmise au vilebrequin et le couple moteur engendré seront étudié dans le prochain chapitre.